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ElGringo

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Posté : 06-06-2008 20:45 icone du post

Officines : Comment l’Europe pourrait changer la donne de la distribution pharmaceutique en France

Entretien avec Jean Parrot, Président de l'Ordre des Pharmaciens (02/06/2008)

Les officinaux sont aujourd’hui à la croisée des chemins ; avec des pressions provenant notamment du niveau européen. A la veille de la Présidence française de l’UE, Jean Parrot nous livre ses réactions face à la série de discussions ouvertes et qui pourraient bien transformer en profondeur le mode d’accès aux médicaments en France.

Les autorités envisageraient actuellement, sous l’impulsion de la Commission européenne, une réforme des SEL : quelle serait son impact concret pour la pharmacie ? Par ailleurs, quels sont les principes commerciaux que vous souhaitez voire soutenus par la Ministre lors de la Présidence française de l’Union européenne ?

Je ne défends aucun modèle économique. Je milite au contraire pour que les préoccupations de santé publique et l'intérêt général priment sur les principes économiques libéraux appliqués parfois de façon dogmatique par les institutions européennes. Et je ne suis pas seul dans cette démarche! L'ensemble des professionnels de santé est préoccupé par les évolutions mercantiles du monde de la santé. Nous venons ainsi de co-signer, avec les ordres des autres professions de santé (médecins, des pharmaciens, des chirurgiens-dentistes, des masseurs-kinésithérapeutes et des sages-femmes) un communiqué de presse (cf. texte du 18 avril joint + dépêche APM) qui appelle les pouvoirs publics à agir, y compris dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, pour défendre le droit des Etats d'organiser leurs services de santé comme ils le jugent nécessaire, conformément au principe de subsidiarité énoncé à l'article 152 du traité européen. Plus qu'un quelconque principe économique, je prône l'application d'un principe de précaution.

En effet, comme vous le soulignez à juste titre, les autorités françaises envisagent, sous la pression des instances européennes, d'ouvrir sans limitation le capital des Sociétés de Professionnels Libéraux à des capitaux non professionnels. Or, une telle évolution porte en elle un certain nombre de dangers majeurs pour la santé publique: ingérences inévitables de ces propriétaires dans l'organisation et la dispensation des soins, en vue de réaliser leurs objectifs de rentabilité financière, aggravation des inégalités d'accès aux soins dans les zones peu attractives par élimination des structures de soins les moins profitables, risque d'utilisation des données individuelles de santé par des assureurs ou des banques appartenant aux groupes investisseurs, création de groupes dominants, au poids démesuré face aux autorités de santé et de protection sociale, détournement d'une partie des ressources de l'assurance maladie au profit d'investisseurs extérieurs (fonds de pensions étrangers ou internationaux, fonds souverains…), soucieux uniquement de maximiser leurs dividendes, disparition progressive de l'exercice libéral des professions de santé, en faveur d'un exercice uniquement salarié,

Pensez-vous que l’ouverture du capital soit un élan naturel pour le marché pharmaceutique ?

Je ne pense pas non. Il y certes une tendance à la libéralisation en Europe, qui est poussée notamment par la commission européenne, mais la France n'est nullement dans une situation isolée à cet égard, puisque 13 Etats membres de l'Union ont choisi d'imposer, pour des raisons de santé publique, des restrictions à la propriété du capital des officines. Ainsi, pour 67,5% des pharmacies en Europe, la propriété du capital reste majoritairement réservée aux pharmaciens. Je ne pense pas qu'il y ait là une évolution inéluctable. Certains Etats européens sont d'ailleurs revenus sur leurs pas face aux dérives constatées. C'est le cas de plusieurs pays de l'Est (Bulgarie, Lettonie) qui, après une libéralisation brutale à la chute du communisme, ont récemment réintroduit la réserve de la propriété des officines aux pharmaciens. Au sein même des institutions européennes, les avis sont d'ailleurs partagés: à la Commission européenne, entre les directions générales chargées de la santé publique et celle chargée du marché intérieur; au parlement européen, 175 députés européens ont signé une déclaration écrite afin de protester contre ces évolutions jugées dangereuses.
Notre modèle devra certes évoluer, et la profession est demandeuse de ces évolutions. Mais ces évolutions devront garantir l'indépendance du professionnel de santé et la maîtrise de son outil de travail. Nous sommes donc favorables à une ouverture du capital des sociétés de professionnels libéraux entre professionnels libéraux.

Redoutez-vous l’exemple de l’Allemagne, où exerce notamment DocMorris ?

En Allemagne, la propriété du capital est également exclusivement réservée aux pharmaciens.
Le cas Doc Morris pose une autre question d'importance majeure: celle de la vente de médicaments par internet. En France, la jurisprudence Doc Morris n'a pas encore été transposée en droit interne. Toutefois, il nous a paru nécessaire de développer un site de commande sécurisé, relié à des pharmacies réelles, afin que les internautes puissent ne pas avoir recours nécessairement à des sites illicites proposant souvent des médicaments contrefaits. On estime en effet que la moitié des médicaments offerts sur internet sont contrefaits. L'Ordre travaille ainsi, avec le ministère de la santé et l'Afssaps, à l'élaboration d’un tel portail.


El Gringo

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